J’ai récemment publié un article sur le Story Circle et son utilité pour éprouver son histoire autant que pour décortiquer les histoires des autres et mieux appréhender la façon dont elles ont été fabriquées. Je ne vais donc pas y revenir, il est maintenant temps de mettre en pratique et d’utiliser le Plot embryo (ou Story Circle) dans cet exercice d’écriture en deux temps.
Premier temps de l’exercice d’écriture : un peu de décorticage littéraire
Puisque le Plot Embryo nous offre deux possibilités et que choisir, c’est renoncer, j’ai décidé que cet atelier serait double ou ne serait pas.
Pour cette première partie, il suffit de choisir une histoire parmi celles que vous connaissez. Livre, film, série, jeux vidéo… Peu importe. Choisissez l’histoire que vous voulez décortiquer et appliquez-lui le Story Circle comme Lilwen Morrigane l’a fait avec « Hunger games » et « Breaking bad ».
Quand vous avez fini, passez à la suite, ou choisissez une autre histoire et recommencez.
Second temps de l’exercice d’écriture : éprouver/improviser le synopsis d’une histoire en s’appuyant sur le Story Circle
Pour cette seconde phase de l’exercice, vous avez deux options :
Vous avez une histoire en cours de création
Dans ce cas, appliquez le Story Circle à votre histoire et voyez comment cet outil narratif peut vous aider à la consolider.
Vous n’avez pas d’histoire en cours de création
Si vous n’avez aucun projet sur le feu, utilisez le Plot Circle pour improviser le synopsis d’une histoire.
Créez un personnage et placez le dans une situation initiale simple. Vous pouvez vous servir d’archétypes pour démarrer plus rapidement. Ensuite, en vous aidant du Plot Embryo, développez un scénario cohérent et inspirant (qui vous inspire et/ou vous amuse).
Et après ?
Une fois l’exercice fini, si votre histoire vous laisse indifférent·e, vous pouvez en rester là. En revanche, si la base que vous avez créée vous semble intéressante et que vous avez envie d’approfondir, n’hésitez pas à reprendre votre synopsis depuis le début pour faire toutes les corrections et modifications que vous jugerez nécessaires pour affiner et étoffer cette histoire.
Petit plaisir coupable : j’ai commencé ce week-end la série « The Royals » et, bien que j’aie vite trouvé ça nul, j’ai avalé la saison 1 au mépris de mon quota de sommeil. Avalé comme on avale un MacDo (j’en mange plus depuis longtemps, mais vous voyez l’idée), en sachant que c’est de la merde, mais après tout, de temps en temps, ça fait pas de mal. Et puis, une daube, c’est aussi formateur qu’un chef d’œuvre.
Je m’excuse d’avance auprès de celles et ceux qui ont aimé la série pour le mal que je vais en dire.
« The Royals », une mauvaise série dont on tire de bonnes leçons (de narration)
« The Royals« , c’est une série sur une famille royale britannique alternative, mais dans notre monde à nous (comme disait Calo quand il chantait avec Les Charts).
Là où ça coince d’emblée, c’est qu’il n’y a rien de britannique dans la série, au point que je me suis dit : « c’est pas possible que ça soit une série anglaise ». Bingo ! C’est une série américaine. Avec toute la subtilité que ça implique.
« The Royals », une leçon de narration « à ne pas reproduire chez soi »
Il n’y a rien qui va dans cette série. Des décors aux costumes en passant par le jeu des acteurices, la pauvreté des dialogues ou encore la romance toxique et la culture du viol. J’en veux pour preuve le rouge intense typique des tapis, tentures et autres tissus d’ameublement de la royauté qui est remplacé par un rouge fuchsia cheapos qui confère une ambiance Barbie Kitsch à un palais qui n’avait déjà rien de British.
Et que dire de l’intrigue, aussi inspirée qu’une chanson de Vianney. C’est pas dur, chaque épisode nous éloigne un peu plus de The Crown (dont on était déjà à des années lumières) pour nous rapprocher un peu plus de Pretty little liars (autre plaisir coupable que j’avais fini par lâcher parce que, putain, ça n’en finissait jamais).
La reine d’Angleterre, interprétée par Liz Hurley, n’a rien d’une reine et n’a rien d’anglais. Elle fleure bon la pétasse et l’Amérique et passe son temps à bitcher sa fille tout en se tapant la moitié du palais, pendant que ladite fille se tape l’autre moitié (même s’il arrive que l’une empiète sur la moitié de l’autre).
La fille est une princesse trash qui passe son temps à se camer et à se complaire dans des relations toxiques largement dominées par le sexe pas toujours très consenti.
Le fils est un mélange pas subtil de la blondeur sage et candide de William et de la rebelle et fêtarde attitude d’Harry, avec comme résultat un prince insipide qui oscille entre deux personnalités sans faire honneur ni à l’une ni à l’autre. On ne crache toutefois pas sur la multitude de plans sur sa gueule d’ange.
Que dire du frère du roi, un dépravé qui abuse des bonnes, de la came et de la corruption et qui jalouse et convoite le trône de son frère tout en étant fringué comme le bouffon du roi. Je ne parlerai même pas de ses deux filles, qui sont finalement peut-être la plus grande réussite de la série.
Le flegme et l’élégance britanniques vus par les Américains, ça donne une série cheap qui tient plus du teen movie que de la série historique et qu’on regarde avec délice et culpabilité en se disant « Allez, je ferai attention demain ».
Un demain qui pourrait arriver plus vite que prévu, parce que j’ai commencé la saison 2 et je vous préviens, ça ne va pas en s’arrangeant !
Mais tout n’est pas à jeter dans les séries de merde, pour peu qu’on arrive à les regarder.
Apprendre de ses erreurs ? Ou de celles des autres !
Et oui, l’observation et le décorticage d’une création de mauvaise qualité nous en apprend autant que celle d’un chef d’œuvre, que ce soit en peinture ou en narration.
Parce qu’apprendre à reconnaître ce qui ne fonctionne pas, c’est aussi précieux que de savoir identifier ce qui marche. Et puis, quitte à apprendre des erreurs, autant gagner du temps et apprendre de celles des autres !
Dans « The Royals », bien que tout soit plus ou moins nullos, le plus gros fail de la série, c’est la crédibilité de son univers. Si cela avait été un royaume fictif, ça aurait peut-être pu passer. Mais quand on déclare que son histoire se déroule au palais d’Angleterre, tout alternatif qu’il est, ça suscite quelques attentes et ici, le contrat n’est pas du tout rempli.
On voit que le sujet n’a pas été bossé, que les Américains n’y connaissent putain rien à l’Angleterre et à la monarchie, et que cette série relève plutôt du fantasme d’un ignorant (so Trump !).
Le souci, c’est que quand læ spectateurice/lecteurice ne croit pas à l’univers, iel ne croit pas à l’histoire. Il est donc crucial de bosser son sujet et de faire des recherches, le cas échéant. Parce qu’un détail peut faire décrocher.
Le décorticage littéraire, une bonne excuse pour mater des séries de merde sans culpabiliser
On pourrait aussi tirer des leçons de cette série sur les dialogues, le développement des personnages et la construction d’une intrique, mais l’idée de cet article, en dehors de bitcher un peu sur la série, c’est surtout de souligner le fait que les créations de mauvaise qualité peuvent être aussi formatrices que celles qui nous fascinent et nous font rêver.
Pour terminer, j’ajouterai que même dans une œuvre de qualité, on peut relever des défauts, des fragilités, des « ah moi, c’est pas comme ça que j’aurais fait » qui sont autant de leçons à tirer et à retenir pour nos propres créations.
Pour cet article, je dois avant tout remercier Lilwen Morrigane, mon amie et collègue autrice, et sa lettre d’information « L’Imaginarium de Lilwen Morrigane », que je vais simplement me contenter de résumer tout en vous invitant à la lire et à vous y abonner.
L’outil narratif que je vous présente dans cet article est un peu dans la veine des décorticages littéraires que je propose quelquefois. En effet, il permet à la fois de décortiquer des textes pour en appréhender le fonctionnement, et de créer des histoires en proposant un cadre narratif circulaire largement éprouvé et donc, redoutablement efficace.
Le « Plot embryo », un schéma narratif pour faciliter la création d’histoires
Cet outil narratif, qu’on trouve aussi sous le nom de « Story circle », est un dérivé du fameux « voyage du héros », bien connu de toutes celles et tous ceux qui veulent appréhender les codes narratifs et écrire de belles histoires.
Contrairement à ses cousins qui proposent un schéma narratif linéaire, le Story Circle est un outil d’écriture qui permet de créer une boucle narrative qui va de la « zone de confort » du personnage principal (la situation initiale) à la transformation opérée par son parcours en passant par moult péripéties aux conséquences plus ou moins graves.
Il s’applique à l’intrigue globale d’une histoire, mais également aux intrigues secondaires, ce qui permet de donner à coup sûr du relief aux personnages principaux et secondaires en leur conférant des désirs, des besoins et des obstacles.
Le Story Circle, un schéma narratif en huit étapes
Les huit étapes de cette trame narrative proposent un schéma efficace pour construire une histoire riche. Toutefois, rien de nouveau sous le soleil, le Story Circle ou Plot Embryo ou Voyage du héros ou quel que soit son nom, n’est jamais qu’une version plus ou moins détaillée du bon vieux schéma narratif qu’on apprend à l’école primaire.
La zone de confort = situation initiale
Le désir/besoin = élément perturbateur
L’entrée dans une situation inhabituelle = péripéties
L’adaptation = péripéties
L’obtention = péripéties
Le prix à payer = point culminant
Le retour = dénouement
Le changement = situation finale
Tout comme Lilwen Morrigane dans l’article qui m’a servi de base pour celui-ci, vous pouvez vous amuser à appliquer ce schéma narratif à vos films, livres, jeux vidéo et séries préférées. Cet exercice de décorticage narratif vous permettra non seulement de vérifier son usage et son utilité, mais également de bien en comprendre le fonctionnement et de vous l’approprier pour produire des récits.
Le Plot Embryo appliqué à « Le dernier pas »
« Le dernier pas », c’est une série littéraire que j’ai écrite pour Rocambole. Une romance qui se veut dans les clous du genre tout en essayant de se défaire de ce côté guimauve qui peut avoir tendance à m’agacer.
Je l’ai écrite « au feeling », comme une bonne jardinière qui se respecte. Depuis, je me suis formée, j’ai appris, j’ai travaillé et évolué, tel un Pokemon, pour devenir une sorte de paysagiste, compromis contre-nature pourtant très répandu entre le jardinier et l’architecte.
Pour illustrer cet article et éprouver mes compétences de l’époque, je lui ai appliqué le schéma narratif du Story Circle, à mes risques et périls.
La zone de confort
Ça commence mal, puisque Clotilde, le personnage principal, est dès le début de l’histoire dans l’inconfort le plus total. Bien que mal à l’aise, elle est toutefois dans une situation initiale classique, puisqu’elle rabâche contre le patriarcat pendant que sa mère la rembarre.
Le désir/besoin
S’émanciper, en tant que femme, des attentes de la société à son égard
L’entrée dans une situation inhabituelle
Elle flirte avec Sékou, un invité, au cours d’une danse. Elle le revoit par hasard lors d’un dîner.
L’adaptation
Clotilde doit faire face au désir de cet homme et à son propre désir.
L’obtention
Ils finissent par quitter le dîner et passent la nuit ensemble
Le prix à payer
Clotilde a caché à Sékou le fait qu’elle était en couple. Elle quitte son compagnon, qu’elle n’aime plus, et perd Sékou, qui se sent trahi et manipulé. Le cœur brisé, elle essaie de surmonter son désespoir.
Le retour
Apaisée et entourée, Clotilde a repris le dessus. Jusqu’à ce qu’elle croise à nouveau Sékou par hasard chez des amis communs. Face à ses reproches, elle explose. Le couple s’isole pour une franche explication. Clotilde balance ses quatre vérités à Sékou et part sans demander son reste, le laissant comme deux ronds de flan. Bien que toujours amoureuse, elle est libérée de la pression, de la culpabilité et des attentes des autres.
Le changement
Sékou revient dans sa vie. Tous deux peuvent enfin s’exprimer librement avec sincérité et laisser une nouvelle chance à leur histoire.
Ma foi, je m’en étais pas si mal sortie !
Conclusion
Le Story Circle, ou Plot Embryo, est un outil narratif intéressant pour encadrer et faciliter la création d’histoire. Il peut également servir à décortiquer les histoires déjà connues pour comprendre comment elles fonctionnent et comment on peut soi-même les construire, un peu à la manière d’un mécanicien ou d’une horlogère qui démonte un mécanisme pour en comprendre les rouages et comment le construire et le réparer.
Le décorticage littéraire, c’est analyser en détail une œuvre de fiction, quelle qu’elle soit, et en retirer des notions et principes applicables à l’écriture et à la narration.
J’ai toujours été persuadée qu’on apprend beaucoup sans le savoir, rien qu’on « consommant » et en expérimentant par la pratique. L’ingestion inconsciente de grands principes de narration est devenue pour moi une certitude pendant le confinement, quand mon fils de 5 ans s’est mis à écrire une histoire dans laquelle il intégrait naturellement des connecteurs (il était une fois, car, soudain…), des obstacles et des rebondissements.
Dans une optique de progression, le décorticage littéraire permet un apprentissage conscient des grandes notions de narration en se basant sur des œuvres qu’on a aimée ou, au contraire, détestée et en essayant de comprendre pourquoi.
Prendre des notes devant une série, un livre, un jeu vidéo…
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Extraire et critiquer les techniques d’écriture et de narration
Quand on consomme une œuvre de fiction, il y a forcément des choses qui nous plaisent et d’autres qui ne nous plaisent pas. Décortiquer une œuvre – que ce soit un livre, un film, une série ou un jeu vidéo – est un bon moyen de les identifier et de les formaliser.
Savoir ce qu’on aime et ce qu’on n’aime pas en fiction permet ensuite d’affiner son écriture et sa narration pour créer une œuvre qui nous ressemble.
Comme rien ne vaut un bon exemple, je prendrai le mien, qui n’est pas forcément le meilleur, mais que j’ai l’avantage de bien connaître. Des exemples de ce que j’ai aimé ou pas en fiction, je pourrais en donner plein, mais je garde ce déluge d’avis pour des articles plus consistants et je vais me contenter ici d’en survoler un ou deux.
Parmi les choses que je déteste quand je regarde une série, c’est quand on me balade et qu’on me prend pour une imbécile en me cachant des choses juste pour ménager un faux suspense. Par exemple, dans un drama coréen, la toute fin de l’avant-dernier épisode nous montre les 2 protagonistes se promettre un combat à mort le lendemain.
Consternation, les 2 amis se trahissent et trahissent leurs propres convictions, défendues ardemment et violemment durant les 2000 épisodes précédents ?! Et bien non, Ginette, figure-toi que læ réalisateurice a volontairement tronqué une partie du dialogue pour te cacher la partie où ils se détendent pour finalement élaborer un plan qui fera éclater au grand jour leur grande et belle complicité tout en niquant chanmé les méchants.
Et ben, là, je sais pas toi, mais moi, je me dis qu’iels nous ont bien pris pour des con·nes et que cette astuce pour ménager le suspense, elle est tout sauf efficace et naturelle et qu’elle a même failli coûter la crédibilité des personnages. Du coup, pour moi, c’est un gros fail et une technique bidon que je mets dans ma liste « À NE PAS FAIRE ! ».
Il y a aussi les dialogues tout claqués dans lesquels les personnages racontent entre eux les évènements qu’iels ont vécu ensemble, de façon artificielle pour mettre læ spectateurice/lecteurice au jus. Le dialogue est alors purement fonctionnel et n’apporte rien ni pour le développement de l’intrigue ni pour celui des personnages.
Conclusion
Apprendre par la théorie, les livres de narratologie et les blogs d’auteurices, c’est cool, mais rien ne vaut l’apprentissage par l’expérience ! En tant que consommateurices d’œuvres de fiction, on a toustes intégré des principes de narration sans forcément savoir les identifier clairement et les nommer. Mais ils font partie de nous et on y fait appel inconsciemment.
En apprenant la théorie et en faisant un travail de décorticage d’œuvres, on apprend à le faire systématiquement et en connaissance de cause, gagnant ainsi plus de maîtrise et de contrôle sur nos créations.
« L’histoire sans fin« , c’est un de mes films préférés et ce, depuis toujours. J’ai enfin pu le faire voir à mon fils, en ayant un peu peur de ne plus ressentir la magie, mais si, elle était bel et bien là. Il y aurait beaucoup à dire sur ce film (et sur le livre, mais je ne le connais pas) et j’aurai sans l’ombre d’un doute l’occasion de brandir à nouveau des bouts de ce film doudou. Mais pour l’heure, c’est une réplique du Mangeur de pierre qui nous occupe.
Petit rappel contextuel
Pour les profanes, petit rappel (attention, divulgâchage) :
On rencontre le mangeur de pierre au début de l’histoire. Alors qu’il parcourt Fantasia pour prévenir le pays du danger que représente le Néant, il croise la route d’un drôle de bonhomme et son escargot de course, ainsi que d’un vagabond et sa chauve-souris narcoleptique. Ils décident de prendre la route ensemble.
On ne revoit le mangeur de pierre que bien plus tard, quand Fantasia a presque entièrement disparu, engloutie par le Néant. Atreyu, en route pour le palais impérial, tombe sur le mangeur de pierre, seul, assis à même le sol, en train d’observer ses mains. Il a alors cette réplique déchirante :
On dirait de bonnes grosses mains pleines de vigueur.
Cette phrase lourde de sous-entendu, et l’air désolé du mangeur de pierre, suffisent à nous peindre le tableau du drame qu’il a vécu.
Tell, don’t show
Attention, ça va sembler complexe, mais c’est simple. Au lieu de nous faire un flashback pour nous montrer ce qui est arrivé à ses acolytes (ce qui aurait été incroyablement convenu et chiant), le mangeur de pierre prononce cette simple réplique. Pour qui a suivi et se souvient du début de l’histoire, elle est limpide.
Mais le mangeur de pierre est bien obligé de faire un court débrief à Atreyu, qui, le pauvre, est complètement largué. On a donc la confirmation que le Néant a englouti les amis du mangeur de pierre et que celui-ci, malgré tous ses efforts, n’a pas réussi à les retenir. Mais… la réelle vocation de cette réplique est-elle de nous informer ?
Make me feel, don’t tell
Assurément non, puisque le mangeur de pierre raconte ensuite comment ses amis ont été emportés par le Néant et comment il a été incapable de les sauver. Cette réplique, bien qu’elle l’annonce, ne montre pas la disparition tragique des compagnons du mangeur de pierre, elle exprime bel et bien sa détresse face à ce drame et à son échec à les sauver. Elle est là pour l’empathie.
Il pourrait se contenter de raconter à Atreyu ce qui est arrivé à ses amis, mais il serait alors un simple narrateur, un personnage accessoire au service de l’intrigue. Mais le mangeur de pierre est plus que ça. Cette réplique en fait un personnage crédible, vivant et attachant. On comprend, et on ressent sa détresse. Ce qui fait qu’on ne l’oublie pas, malgré son faible temps d’apparition à l’écran.
Avec une seule petite phrase…
La force des dialogues
Les dialogues, quand ils sont bien utilisés, sont un outil fantastique. Ils peignent les couleurs d’un personnage. Son vocabulaire, ses intonations, ce qu’il choisi de dire ou ne pas dire, sont autant d’informations qui permettent de le décoder. En revanche, il n’y a rien qui sonne plus faux que des dialogues utilitaires, qui servent à résumer ce qu’on a déjà vu ou ce que les personnages qui discutent ont vécu ensemble.
C’est pour ça que cette phrase du mangeur de pierre a un tel impact : elle fait résonner très fort les émotions de ce personnages, pour les faire arriver jusqu’à nous.
Les personnes de ma génération connaissent toustes cette pub et son hymne « En route pour l’aventure ». Alors qu’on a oublié toutes les pubs Nutella et leur succession d’enfants trop lisses. À quoi ça tient ? Pas à la qualité du produit, ça, c’est certain !
L’incursion du rêve dans la réalité
Banga, qui ne pouvait pas miser sur la qualité de sa boisson – ni sur son originalité – a trouvé le meilleur canal pour parler à nos âmes d’enfants : l’imaginaire. « En route pour l’aventure ! » nous clame la chanson de la pub. Mais comme il ne suffit jamais de le dire, Banga nous montre à quel point sa boisson chimique sait réveiller l’aventurier qui sommeille en nous (dire… montrer… vous l’avez ? ). Et voilà que l’enfant qui jouait mollement à l’aventurier dans son couloir d’une banalité désolante se retrouve propulsé dans une jungle luxuriante. L’aventure s’invite dans son morne quotidien, à grand renfort de rivière bouillonnante et de crocodile affamé.
Marquer les esprits
C’est ce qui fait qu’on se souvient de cette pub et que, trente ans après, les quadras chantonnent encore « On ne résiste paaaaaaas… à l’appel du Banga ! ». L’incursion de l’imaginaire dans la réalité rend le moment plus intense, à tel point qu’il en devient inoubliable. Oui, trente ans après, on voit encore parfaitement cet enfant traverser la jungle de son couloir de liane en liane en faisant la nique à un crocodile menaçant. On avait en revanche totalement oublié la mère Barbara Gould digne d’un spot pour Kinder, dont on a d’ailleurs oublié toutes les pubs. Ne reste des pubs Nutella que l’arrière-goût insipide du quotidien trop lisse et trop parfait d’une famille tout aussi fake que le goût de la pâte à tartiner. L’image aseptisée de notre vie, ou de ce qu’elle est supposée être. Franchement, qui cela fait-il rêver ?
Comment on fait dans nos livres, alors ?
Je vous vois venir. Ne comptez pas sur moi pour vous donnez des injonctions ni même des conseils d’écriture dans les décorticages littéraires. Le but de cette rubrique est de partager des techniques, des idées, de l’inspiration. Parenthèse magique, rêve éveillé, impression fugace… À vous de trouver si et comment vous frapperez les esprits avec vos écrits.
C’est un exercice tout neuf qui voit le jour sur ce blog (et signe en quelque sorte sa résurrection après une longue période de coma) : le décorticage narratif. Le principe ? Extraire des principes et techniques narratives de morceaux choisis (chanson, clip, dessin animé, film, série, fiction interactive, jeu vidéo… tout ce qui sert à raconter une histoire).
Le pourquoi du comment
Il y a quelques jours, au cours d’une discussion Mastodonesque très intéressante avec Stéphane Arnier sur le point de vue et le temps de narration (je vous recommande d’ailleurs ses articles ! ), j’ai eu recours à des chansons pour illustrer mon propos (et défendre l’indéfendable, la narration au présent ET à la première personne).
Depuis que j’ai lu ses articles sur le sujet, je cogite pas mal et je me suis dit que ça pourrait être intéressant de partager le fruit de ces réflexions. Intéressant pour vous, mais aussi pour moi, puisque ça m’incite à analyser toutes les formes de narrations qui me tombent sous la dent (manie que j’ai déjà, de façon plus ou moins consciente). Et parce que c’est INSPIRANT.
Décorticage n°1 : la narration au présent ET à la première personne
J’avais prévenu, je défends ici l’indéfendable. Contre vents, marées et toustes celleux qui clament que le seul temps de narration est le passé simple, je me dresse et je dis « Non ». La narration à la première personne ? Je dis « Oui ». Mais, parce que l’adage qui dit qu’il faut connaître les règles avant de s’en affranchir dit vrai, j’ai arrêté de me reposer depuis quelques années sur mes acquis par imprégnation et j’ai bossé la théorie. Et aujourd’hui, je sais pourquoi j’aime écrire au présent. Et parfois à la première personne. Encore mieux, je sais même l’expliquer !
La narration au présent et à la première personne : cas pratique en chansons
La première chose qui m’est venue au fil de ma réflexion, c’est « Comme d’habitude ». Dans cette chanson, Cloclo utilise le présent pour illustrer la monotonie, la routine de ce quotidien sans passion. Mais surtout, ce que j’aime, c’est qu’il délivre le regard désabusé du personnage sur son couple à l’agonie, ce qui est appuyé par la première personne : il se regarde vivre et agir et le récit qu’il fait de sa vie porte la couleur de son jugement et de son désespoir :
« mais toi »
« presque malgré moi »
« tout seul, je bois mon café «
extrait des paroles de « Comme d’habitude »
Mais un seul exemple ne suffit pas, la science vous le dira. Alors j’ai confronté deux chansons des Rita Mitsouko : « Andy » et « Les histoires d’A ». Dans la première, le texte est au présent parce que la narratrice est spectatrice de l’histoire, qu’elle raconte au moment où elle se passe, pour finalement en devenir actrice : « Dis-lui oui, Andy » (qui fait d’ailleurs écho au « Dis-moi oui, Andy »). Dans « Les histoires d’A », le texte est au passé, parce qu’on nous raconte une succession d’anecdotes qui illustrent le propos de la chanson : les histoires d’amour finissent mal.
extrait des paroles de « Andy »
extrait des paroles de « Andy »
extrait des paroles de « Les histoires d’A. »
Conclusion
Ce que j’aime avec le présent, que ce soit à la première ou à la troisième personne focalisée, c’est qu’il donne le regard du personnage sur son histoire au moment où elle se déroule. On a donc ses émotions, ses sentiments, ses impressions, ses réactions au plus proche de l’action. Le texte au présent nous délivre la vérité du personnage. Sa vérité immédiate, contrairement au passé, qui lui permet de tricher en apportant des ajustements et corrections rendues possibles par le recul que permet la distance temporelle.
Quant à la première personne, c’est un peu la même chose. Le « je » me donne l’impression d’être avec mon personnage, d’être au plus près de son ressenti et de sa vérité, là où la troisième personne met une distance entre lui et moi, et lui et son histoire. C’est toutefois une narration piégeuse et je vous invite à lire les articles de Stéphane Arnier sur le sujet avant de vous lancer !