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Le décorticage littéraire pour apprendre à écrire

Le décorticage littéraire, c’est analyser en détail une œuvre de fiction, quelle qu’elle soit, et en retirer des notions et principes applicables à l’écriture et à la narration.

J’ai toujours été persuadée qu’on apprend beaucoup sans le savoir, rien qu’on « consommant » et en expérimentant par la pratique. L’ingestion inconsciente de grands principes de narration est devenue pour moi une certitude pendant le confinement, quand mon fils de 5 ans s’est mis à écrire une histoire dans laquelle il intégrait naturellement des connecteurs (il était une fois, car, soudain…), des obstacles et des rebondissements.

Dans une optique de progression, le décorticage littéraire permet un apprentissage conscient des grandes notions de narration en se basant sur des œuvres qu’on a aimée ou, au contraire, détestée et en essayant de comprendre pourquoi.

Un calepin pour prendre des notes
Prendre des notes devant une série, un livre, un jeu vidéo… Image de freepik

Extraire et critiquer les techniques d’écriture et de narration

Quand on consomme une œuvre de fiction, il y a forcément des choses qui nous plaisent et d’autres qui ne nous plaisent pas. Décortiquer une œuvre – que ce soit un livre, un film, une série ou un jeu vidéo – est un bon moyen de les identifier et de les formaliser.

Savoir ce qu’on aime et ce qu’on n’aime pas en fiction permet ensuite d’affiner son écriture et sa narration pour créer une œuvre qui nous ressemble.

Comme rien ne vaut un bon exemple, je prendrai le mien, qui n’est pas forcément le meilleur, mais que j’ai l’avantage de bien connaître. Des exemples de ce que j’ai aimé ou pas en fiction, je pourrais en donner plein, mais je garde ce déluge d’avis pour des articles plus consistants et je vais me contenter ici d’en survoler un ou deux.

Parmi les choses que je déteste quand je regarde une série, c’est quand on me balade et qu’on me prend pour une imbécile en me cachant des choses juste pour ménager un faux suspense. Par exemple, dans un drama coréen, la toute fin de l’avant-dernier épisode nous montre les 2 protagonistes se promettre un combat à mort le lendemain.

Consternation, les 2 amis se trahissent et trahissent leurs propres convictions, défendues ardemment et violemment durant les 2000 épisodes précédents ?! Et bien non, Ginette, figure-toi que læ réalisateurice a volontairement tronqué une partie du dialogue pour te cacher la partie où ils se détendent pour finalement élaborer un plan qui fera éclater au grand jour leur grande et belle complicité tout en niquant chanmé les méchants.

Et ben, là, je sais pas toi, mais moi, je me dis qu’iels nous ont bien pris pour des con·nes et que cette astuce pour ménager le suspense, elle est tout sauf efficace et naturelle et qu’elle a même failli coûter la crédibilité des personnages. Du coup, pour moi, c’est un gros fail et une technique bidon que je mets dans ma liste « À NE PAS FAIRE ! ».

Il y a aussi les dialogues tout claqués dans lesquels les personnages racontent entre eux les évènements qu’iels ont vécu ensemble, de façon artificielle pour mettre læ spectateurice/lecteurice au jus. Le dialogue est alors purement fonctionnel et n’apporte rien ni pour le développement de l’intrigue ni pour celui des personnages.

Conclusion

Apprendre par la théorie, les livres de narratologie et les blogs d’auteurices, c’est cool, mais rien ne vaut l’apprentissage par l’expérience ! En tant que consommateurices d’œuvres de fiction, on a toustes intégré des principes de narration sans forcément savoir les identifier clairement et les nommer. Mais ils font partie de nous et on y fait appel inconsciemment.

En apprenant la théorie et en faisant un travail de décorticage d’œuvres, on apprend à le faire systématiquement et en connaissance de cause, gagnant ainsi plus de maîtrise et de contrôle sur nos créations.

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Le "show, don't tell" du mangeur de pierre

« L’histoire sans fin« , c’est un de mes films préférés et ce, depuis
toujours. J’ai enfin pu le faire voir à mon fils, en ayant un peu peur
de ne plus ressentir la magie, mais si, elle était bel et bien là. Il y
aurait beaucoup à dire sur ce film (et sur le livre, mais je ne le
connais pas) et j’aurai sans l’ombre d’un doute l’occasion de brandir à
nouveau des bouts de ce film doudou. Mais pour l’heure, c’est une
réplique du Mangeur de pierre qui nous occupe.

Petit rappel contextuel

 Pour les profanes, petit rappel (attention, divulgâchage) :

On rencontre le mangeur de pierre au début de l’histoire. Alors qu’il parcourt Fantasia pour prévenir le pays du danger que représente le Néant, il croise la route d’un drôle de bonhomme et son escargot de course, ainsi que d’un vagabond et sa chauve-souris narcoleptique. Ils décident de prendre la route ensemble.

On ne revoit le mangeur de pierre que bien plus tard, quand Fantasia a presque entièrement disparu, engloutie par le Néant. Atreyu, en route pour le palais impérial, tombe sur le mangeur de pierre, seul, assis à même le sol, en train d’observer ses mains. Il a alors cette réplique déchirante :

On dirait de bonnes grosses mains pleines de vigueur.

Cette phrase lourde de sous-entendu, et l’air désolé du mangeur de pierre, suffisent à nous peindre le tableau du drame qu’il a vécu.

 Tell, don’t show

Attention, ça va sembler complexe, mais c’est simple. Au lieu de nous faire un flashback pour nous montrer ce qui est arrivé à ses acolytes (ce qui aurait été incroyablement convenu et chiant), le mangeur de pierre prononce cette simple réplique. Pour qui a suivi et se souvient du début de l’histoire, elle est limpide.

Mais le mangeur de pierre est bien obligé de faire un court débrief à Atreyu, qui, le pauvre, est complètement largué. On a donc la confirmation que le Néant a englouti les amis du mangeur de pierre et que celui-ci, malgré tous ses efforts, n’a pas réussi à les retenir. Mais… la réelle vocation de cette réplique est-elle de nous informer ?

Make me feel, don’t tell

Assurément non, puisque le mangeur de pierre raconte ensuite comment ses amis ont été emportés par le Néant et comment il a été incapable de les sauver. Cette réplique, bien qu’elle l’annonce, ne montre pas la disparition tragique des compagnons du mangeur de pierre, elle exprime bel et bien sa détresse face à ce drame et à son échec à les sauver. Elle est là pour l’empathie.

Il pourrait se contenter de raconter à Atreyu ce qui est arrivé à ses amis, mais il serait alors un simple narrateur, un personnage accessoire au service de l’intrigue. Mais le mangeur de pierre est plus que ça. Cette réplique en fait un personnage crédible, vivant et attachant. On comprend, et on ressent sa détresse. Ce qui fait qu’on ne l’oublie pas, malgré son faible temps d’apparition à l’écran.

Avec une seule petite phrase…

La force des dialogues

Les dialogues, quand ils sont bien utilisés, sont un outil fantastique. Ils peignent les couleurs d’un personnage. Son vocabulaire, ses intonations, ce qu’il choisi de dire ou ne pas dire, sont autant d’informations qui permettent de le décoder. En revanche, il n’y a rien qui sonne plus faux que des dialogues utilitaires, qui servent à résumer ce qu’on a déjà vu ou ce que les personnages qui discutent ont vécu ensemble.

C’est pour ça que cette phrase du mangeur de pierre a un tel impact : elle fait résonner très fort les émotions de ce personnages, pour les faire arriver jusqu’à nous.

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[décorticage littéraire] La pub Banga, ou l'imaginaire pour frapper les esprits

Avant toute chose, la pub Banga, c’est ça :

    Les personnes de ma génération connaissent toustes cette pub et son hymne « En route pour l’aventure ». Alors qu’on a oublié toutes les pubs Nutella et leur succession d’enfants trop lisses. À quoi ça tient ? Pas à la qualité du produit, ça, c’est certain !

L’incursion du rêve dans la réalité

    Banga, qui ne pouvait pas miser sur la qualité de sa boisson – ni sur son originalité – a trouvé le meilleur canal pour parler à nos âmes d’enfants : l’imaginaire. « En route pour l’aventure ! » nous clame la chanson de la pub. Mais comme il ne suffit jamais de le dire, Banga nous montre à quel point sa boisson chimique sait réveiller l’aventurier qui sommeille en nous (dire… montrer… vous l’avez ? ). Et voilà que l’enfant qui jouait mollement à l’aventurier dans son couloir d’une banalité désolante se retrouve propulsé dans une jungle luxuriante. L’aventure s’invite dans son morne quotidien, à grand renfort de rivière bouillonnante et de crocodile affamé.

Marquer les esprits

    C’est ce qui fait qu’on se souvient de cette pub et que, trente ans après, les quadras chantonnent encore « On ne résiste paaaaaaas… à l’appel du Banga ! ». L’incursion de l’imaginaire dans la réalité rend le moment plus intense, à tel point qu’il en devient inoubliable. Oui, trente ans après, on voit encore parfaitement cet enfant traverser la jungle de son couloir de liane en liane en faisant la nique à un crocodile menaçant. On avait en revanche totalement oublié la mère Barbara Gould digne d’un spot pour Kinder, dont on a d’ailleurs oublié toutes les pubs. Ne reste des pubs Nutella que l’arrière-goût insipide du quotidien trop lisse et trop parfait d’une famille tout aussi fake que le goût de la pâte à tartiner. L’image aseptisée de notre vie, ou de ce qu’elle est supposée être. Franchement, qui cela fait-il rêver ?

Comment on fait dans nos livres, alors ?

    Je vous vois venir. Ne comptez pas sur moi pour vous donnez des injonctions ni même des conseils d’écriture dans les décorticages littéraires. Le but de cette rubrique est de partager des techniques, des idées, de l’inspiration. Parenthèse magique, rêve éveillé, impression fugace… À vous de trouver si et comment vous frapperez les esprits avec vos écrits.

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Introduction au décorticage narratif

C’est un exercice tout neuf qui voit le jour sur ce blog (et signe en quelque sorte sa résurrection après une longue période de coma) : le décorticage narratif. Le principe ? Extraire des principes et techniques narratives de morceaux choisis (chanson, clip, dessin animé, film, série, fiction interactive, jeu vidéo… tout ce qui sert à raconter une histoire).

 Le pourquoi du comment

    Il y a quelques jours, au cours d’une discussion Mastodonesque très intéressante avec Stéphane Arnier sur le point de vue et le temps de narration (je vous recommande d’ailleurs ses articles ! ), j’ai eu recours à des chansons pour illustrer mon propos (et défendre l’indéfendable, la narration au présent ET à la première personne).

Depuis que j’ai lu ses articles sur le sujet, je cogite pas mal et je me suis dit que ça pourrait être intéressant de partager le fruit de ces réflexions. Intéressant pour vous, mais aussi pour moi, puisque ça m’incite à analyser toutes les formes de narrations qui me tombent sous la dent (manie que j’ai déjà, de façon plus ou moins consciente). Et parce que c’est INSPIRANT.

Décorticage n°1 : la narration au présent ET à la première personne

    J’avais prévenu, je défends ici l’indéfendable. Contre vents, marées et toustes celleux qui clament que le seul temps de narration est le passé simple, je me dresse et je dis « Non ». La narration à la première personne ? Je dis « Oui ». Mais, parce que l’adage qui dit qu’il faut connaître les règles avant de s’en affranchir dit vrai, j’ai arrêté de me reposer depuis quelques années sur mes acquis par imprégnation et j’ai bossé la théorie. Et aujourd’hui, je sais pourquoi j’aime écrire au présent. Et parfois à la première personne. Encore mieux, je sais même l’expliquer !

La narration au présent et à la première personne : cas pratique en chansons

    La première chose qui m’est venue au fil de ma réflexion, c’est « Comme d’habitude ». Dans cette chanson, Cloclo utilise le présent pour illustrer la monotonie, la routine de ce quotidien sans passion. Mais surtout, ce que j’aime, c’est qu’il délivre le regard désabusé du personnage sur son couple à l’agonie, ce qui est appuyé par la première personne : il se regarde vivre et agir et le récit qu’il fait de sa vie porte la couleur de son jugement et de son désespoir :

« mais toi »

« presque malgré moi »

« tout seul, je bois mon café « 

extrait des paroles de « Comme d’habitude »

Mais un seul exemple ne suffit pas, la science vous le dira. Alors j’ai confronté deux chansons des Rita Mitsouko : « Andy » et « Les histoires d’A ». Dans la première, le texte est au présent parce que la narratrice est spectatrice de l’histoire, qu’elle raconte au moment où elle se passe, pour finalement en devenir actrice : « Dis-lui oui, Andy » (qui fait d’ailleurs écho au « Dis-moi oui, Andy »). Dans « Les histoires d’A », le texte est au passé, parce qu’on nous raconte une succession d’anecdotes qui illustrent le propos de la chanson : les histoires d’amour finissent mal.

extrait des paroles de « Andy »
extrait des paroles de « Andy »
extrait des paroles de « Les histoires d’A. »

Conclusion

    Ce que j’aime avec le présent, que ce soit à la première ou à la troisième personne focalisée, c’est qu’il donne le regard du personnage sur son histoire au moment où elle se déroule. On a donc ses émotions, ses sentiments, ses impressions, ses réactions au plus proche de l’action. Le texte au présent nous délivre la vérité du personnage. Sa vérité immédiate, contrairement au passé, qui lui permet de tricher en apportant des ajustements et corrections rendues possibles par le recul que permet la distance temporelle.

Quant à la première personne, c’est un peu la même chose. Le « je » me donne l’impression d’être avec mon personnage, d’être au plus près de son ressenti et de sa vérité, là où la troisième personne met une distance entre lui et moi, et lui et son histoire. C’est toutefois une narration piégeuse et je vous invite à lire les articles de Stéphane Arnier sur le sujet avant de vous lancer !